Un beau et joyeux bazar. L’Inde bat au rythme de l’homme qui arpente le sol inégal des rues de ses paysages saturés par la foule en mouvement. Le fonctionnement fusionnel de la société indienne réunit les individus en groupes temporaires autour d’événements sociaux ou en éléments permanents d’une grande famille placée au centre de l’espace urbain.
Le vertige des trajectoires disparates est à la hauteur du sous-continent dont l’immensité se mesure à la durée – interminable – des transports en commun. L’inde se prend comme elle se quitte, avec déchirement, tant les passions sont mêlées à la sauvagerie. Au pays des désirs fous d’en voir toujours plus, de se retrouver broyé dans l’abondance du genre humain, l’expérience du voyage atteint la grâce maladive d’une fuite en avant.

C’est en déplacement que l’on appréhende le mieux ces densités, dans un voyage commun vers la destination proche ou lointaine, saisies par l’appareil photographique lors des trajets en train, bus et voiture. Chaque escale entre deux villes, le long d’une route cabossée, donne la mesure de ce trop-plein de vie qui répand sur le sol pollué les déchets du quotidien.
La direction de l’aventure prend en Inde la forme d’un lâcher prise total. Le temps s’étire et fait basculer l’exploration dans une plongée qui brûle les yeux restés ouverts et alourdit l’esprit sollicité de partout.

Le langage des klaxons dans l’encombrement des artères bouchées par la circulation des villes laisse place à l’odeur âcre de souffre, de plastique brûlé et de bouse fraîche une fois gagnée la rase campagne. Et la poussière mêlée au sable des particules fines qui se déposent partout, recouvrant chaque objet d’une trace de temps inchangée. De cet enfer terrestre émerge parfois un corps isolé, une tête fragile ou un sourire perdu, vague tentative de l’individu pour exister malgré tout par lui-même.
Là-bas, la contemplation est un luxe donné à tous chaque matin et à la nuit tombée quand le soleil entame ou met fin à sa course. Une lumière d’abondance se répand alors à la surface des choses, comme un signal envoyé aux hommes pour les encourager à vivre un jour de plus.
La photographie a quelque chose de la capture, de la rétention captive d’un morceau de réalité.
La couleur doit remplir l’espace, lui donner du relief, et saisir celui qui regarde l’image comme s’il était devant une peinture, aussi éblouissante que lors de la prise de vue. C’est ainsi que j’ai pensé cette série de voyage sous le prisme des transports, où la foule est volontairement exclue. Les photographies isolent les individus, identifient les temps de pause et embrassent la mesure de la beauté brute qui se livre à l’observateur attentif.

Embarqué sur la route, mon œil s’est posé sur tous ces détails qui font de l’humanité une famille proche dans laquelle un regard extérieur peut se confondre.










