À pied ou motorisés, les éboueurs parcourent la ville pour assurer la propreté des rues. Nous les observons chaque jour accomplir leur mission essentielle au service de la communauté sans rien connaître de ces femmes et de ces hommes. L’objectif de ce reportage est d’aller à leur rencontre pour en savoir plus sur leur travail, découvrir leur quotidien dans les rues de la capitale et comprendre le fonctionnement de la collecte de déchets.

« Il est 5 heures, Paris s’éveille. » Dans la ville déserte, le jour n’est pas encore levé. Près de la place Denfert-Rochereau (14e), les éboueurs arrivent les uns à la suite des autres à l’atelier souterrain. Les hommes et les quelques femmes s’engouffrent dans le local technique pour se changer. « Salut Boubou ! » Le responsable nous accueille en saluant les premiers équipiers en tenue, prêts pour le service du matin qui commence à 6 heures.
« Vous allez partir sur leur itinéraire, commente-t-il en nous montrant sur une carte le plan du quartier. Ils commencent en haut, sur la place Denfert-Rochereau, puis ils poursuivent sur Général Leclerc. Il faut qu’ils ramassent la rue piétonne Daguerre. Ça, c’est la priorité, parce qu’après ils ne passent plus. Il y a beaucoup de commerçants là-bas. Vous connaissez le coin ? Vous allez voir, ce n’est pas difficile. »
Le bruit des camions-poubelles retentit. Les équipes, après un brief rapide, sont en ordre de marche. Chacune est composée d’un chauffeur et de deux éboueurs. Elles vont sillonner les rues du quartier jusqu’à la mi-journée pour ramasser les ordures ménagères et faire de la collecte multi-matériaux.

Deux tournées optimisées
Un principe d’efficacité régit le travail des trois bennes déployées en ce samedi matin. « Les itinéraires sont calculés par rapport à la charge et au temps qu’on passe. En général, il faut qu’une benne finisse vers 8h-8h15 maximum le matin, poursuit le responsable, parce qu’après il faut les vider. En général, au premier tour, les bennes sont bien chargées. Dès que le premier tour est terminé, le chauffeur ramène les agents à l’atelier. Les agents prennent leur pause et le camion repart à la TIRU d’Ivry pour aller vider. Il revient vers 9 heures. Et là on recommence le circuit. C’est de l’optimisation à fond. »
À cela vient s’ajouter une évolution dans les pratiques des usagers. « Maintenant les multi-matériaux prennent beaucoup plus le pas sur les ordures ménagères. Ça prouve que les Parisiens trient beaucoup mieux qu’avant. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a des jours où les ordures ménagères ne chargent pas. Mais beaucoup moins qu’avant. »
Derrière nous, Mebrouk et Jimmy attendent à l’arrière d’un des camions. Les deux éboueurs et leur chauffeur sont prêts à partir. Le responsable nous quitte sur un dernier mot : « C’est physique. Les bacs ne sont pas faciles à porter même si c’est mécanisé. Ils ont de la charge. Ils marchent beaucoup. À la longue, ça use ! »

Gilets jaune dans la nuit
L’imposant véhicule se lance à l’assaut du lion de Belfort. Les premières poubelles sont déplacées et les sacs sont lancés dans la benne qui les avale aussitôt. Mebrouk et Jimmy sont parfaitement coordonnés. L’un déplace les conteneurs individuels et collectifs jusqu’à l’arrière du camion tandis que l’autre actionne le mécanisme automatique. Le duo se comprend sans un mot et répète l’opération tous les cent mètres, le long de l’avenue du Général-Leclerc. Les concierges apparaissent au bas des immeubles, prêts à rentrer les poubelles vidées.




Debout sur le marchepied, le ballet nocturne se poursuit. Ils montent, descendent, parfois progressent à pied jusqu’à la poubelle suivante entre les premiers vélos, les voitures et les bus qui passent tout près. La vigilance s’impose pour ne pas risquer un accident. Parfois, un conteneur trop chargé ou mal fixé se renverse dans un bruit sourd.
Le temps est compté pour la petite équipe qui progresse rapidement. Il faut nourrir la benne grande ouverte, toujours insatiable, qui se remplit à vue d’œil. Le camion quitte l’avenue, prend une voie perpendiculaire et s’engage dans la rue Daguerre. Les commerces fermés voient passer les employés de la poissonnerie ou de la boucherie. Quelques mots complices sont échangés. « Dans certaines rues, il ne faut pas passer avant 7 heures pour ne pas déranger les gens » glisse Mebrouk, un carton dans les bras.




Le jour finit par se lever. Les instants privilégiés du temps figé de la nuit se retirent comme la mer à marée basse. Les déchets oubliés par les passants de la veille apparaissent au pied des poubelles de trottoirs sur le chemin de retour. Réveillés avant tout le monde, Mebrouk, Jimmy et les autres retournent à l’atelier après avoir rendu un peu plus propre la ville.

Moments de partage
La salle de repos située au fond du local se remplit au gré des arrivées des équipes déployées dans le quartier. « Il nous a aidé sur la rue piétonne » lance Mebrouk en interpellant l’un de ses collègues. L’ambiance est joyeuse ; les plaisanteries coulent à la vitesse de la machine à café. Un éboueur entre avec un sac rempli de viennoiseries pour fêter sa titularisation au poste de « ripeur ».
C’est ainsi qu’ils se font appeler. « Souvent, quand vous êtes derrière la benne, l’appellation c’est ripeur. Éboueur c’est le terme pour tous les agents. Ripeur, tu es derrière la benne ; lancier, tu es derrière l’engin de lavage… Mais éboueur c’est l’ensemble. Avant, on les appelait des cantonniers » explique l’un des membres du groupe.




Un groupe loin d’être au complet comme l’explique le responsable. « Là on a un effectif officiel de 31 sur les 35 réglementaires. Il manque donc 4 agents. Mais on a aussi plein de personnes qui sont exemptes, qu’on ne peut plus mettre à la benne. Ils ont eu des accidents, et puis il y a l’usure du temps… Nos agents font beaucoup, beaucoup d’heures. Et puis on a des gars – c’est comme partout – qui ne jouent pas le jeu. On ne les voit jamais à l’atelier. Rien que ces aspects-là, ça nous gêne beaucoup. On est obligé de faire porter la charge sur les agents qui sont ici. Heureusement que l’on a de bons gars ! »

Dans la salle de repos, les discussions vont bon train. La pénibilité du travail ne semble pas déranger Mebrouk qui apprécie de commencer tôt le matin. « J’habite à La Courneuve. En 20 minutes j’arrive ici avec le RER B. Le vrai stress le matin, quand le réveil sonne, c’est d’arriver à l’heure. Après quand on est là, c’est tranquille. » Jimmy nuance son propos. Il habite à Chartres et prend chaque jour de travail le premier train à 4 heures. « En semaine, quand on a de petites journées, ça permet de faire autre chose. Mais le week-end c’est chaud. » Il est temps de repartir pour la deuxième tournée. Jimmy, lui, poursuivra à pied sa journée jusqu’à la fin de l’après-midi.

